Situation inusitée dans la NFL qui voit une de ses jeunes vedettes dans ses meilleures années sur le marché des joueurs autonomes, ceci dit avec la restriction de l’étiquette de concession (“franchise tag”) non-exclusif. Regardons la situation et les différents scénarios.
D’abord, soulignons que Jackson n’a pas d’agent. Ça rend les négos plus émotives, surtout que de son point de vue, si DeShaun Watson a obtenu 5 ans garanties des Browns malgré tous les nuages gris qui circulaient autour de lui, il le mérite aussi. Difficile de lui en vouloir. Les Ravens tiennent l’argumentaire que le cas Watson est un cas isolé (pour ne pas dire une crampe au cerveau des propriétaires des Browns) et les autres propriétaires sont rangés derrière les Ravens dans ce combat.
Les Ravens lui ont donc soumis l’étiquette non-exclusive. C’est essentiellement une offre de contrat garantie de 32.4 M$ pour une saison. Il a le droit de négocier avec toutes les autres équipes et d’accepter une offre, que les Ravens peuvent égaler. C’est ici que les Ravens ont pris un risque, mais calculé: puisqu’ils ne s’entendent pas du tout sur sa valeur, ils peuvent lui dire (ce qu’un agent aurait fait en dessous de la couverte) d’aller négocier sur le libre marché et s’il vaut vraiment autant d’argent garanti, quelqu’un va lui offrir. S’Il revient bredouille, les Ravens ont le gros bout du bâton et ça vient prouver leur point.
Les scénarios
A) Jackson ne reçoit aucune offre intéressante
- Jackson ne signe pas l’étiquette et ne joue pas cette saison. Rappelons que comme il est techniquement sans contrat, il n’est pas considéré comme un gréviste au sens de la convention collective, donc les amendes qui y sont prévues ne s’appliquent pas. C’est le chemin que LeVeon Bell avait choisi, et ça lui aura coûté des millions.
- Il se présente au camp quelques jours avant le début de la saison, signe le contrat et joue pour les Ravens cette saison. On recommence la danse l’an prochain, où l’étiquette sera de 20% plus élevée. Et l’année suivante, 44% sur le salaire de 2024, de ce fait essentiellement les Ravens peuvent le “tagguer” 3 fois et le payer 80 M$ sur deux ans ou 127 M$ pour 3 ans, soit moins que sa valeur marchande et sans aucun engagement à long terme. C’est ce que Kirk Cousins a vécu à Washington. Bien que Cousins n’ait jamais été supérieur à Jackson dans mon classement de QB, ils se tiennent dans un groupe de comparables depuis plusieurs années.
- Déçu par ce que le marché offre, il revient à la table de négociations avec les Ravens, avec des demandes réduites, et il signe un contrat à long terme. Tout indique que c’est le scénario préféré par le Ravens et celui qu’ils s’attendent voir réaliser.
B) Jackson s’entend avec une autre équipe
Les Ravens ont alors le choix d’accepter deux choix de 1ʳᵉ ronde, ou d’égaler l’offre. Dans un premier temps, ça prend une équipe qui a des choix de 1ʳᵉ ronde en 2023 et 2024, donc ça élimine plusieurs équipes. Ensuite, l’équipe doit avoir des $ disponibles pour mettre tout l’argent garanti sous écrou, ce que des clubs comme les Raiders n’ont pas les moyens de faire. Pour maximiser leurs chances, l’offre devrait contenir des paramètres financiers qui sont difficiles, voire impossibles à avaler pour les Ravens, qui n’ont que 27 M$ sous le plafond avant le contrat de Jackson. On se souviendra des pilules empoisonnées qui étaient monnaie courante jadis (la saga Steve Hutchinson/Nate Burleson c’était du bonbon) sont maintenant interdites, mais reste qu’une équipe pourrait structurer le contrat d’une manière à ce que l’impact sur le plafond soit surpondéré dans la 1ʳᵉ année du contrat et impossible à égaler pour les Ravens.
De là, les Ravens devront prendre une décision difficile,
- si c’est trop cher à leur goût, ils auront été trop agressifs et devront se contenter de deux choix de 1ʳᵉ ronde, nettement moins que sa réelle valeur marchande. « You snooze, you lose! »
- Si leur position actuelle est justifiée et que l’offre que Jackson accepte est dans les paramètres qu’ils ont déjà offerts (c.-à-d. pas plus que 3 ans garanties, salaire moyen dans les 45-50 M$/an) ils vont égaler et remercier l’autre équipe d’avoir fait le travail de négo pour eux. Financièrement, c’est le scénario le plus intéressant pour les deux parties, mais d’un point de vue relationnel ça laisserait des traces.
- Il y a aussi la possibilité que ce genre d’offre, informelle, serve de base à une transaction plus importante, c’est-à-dire Jackson s’entend, disons avec les Falcons, et les Ravens expriment clairement qu’ils vont égaler l’offre… Sauf si les Falcons mettent un peu d’eau dans leur vin et ajoutent des joueurs et des choix. Il y a du texte dans la convention collective (selon overthecap.com ) qui empêche ça, mais c’est flou et possiblement contournable.
Rappelons aussi que comme Jackson n’a pas de contrat, les Ravens ne peuvent pas l’échanger contre son gré. Il doit signer l’étiquette avant d’être échangé.
La solidarité des propriétaires de la NFL ne tient souvent qu’à un fil, surtout quand solidarité flirte avec collusion. Mais je crois que la liste d’équipes qui pourraient faire une offre que les Ravens n’égaleraient pas est courte: Falcons, Colts, Commanders. Mais le hic, c’est qu’ils ont leur premier choix assez haut dans le repêchage.
Et avec tout ce qui entoure cette situation, on va entendre parler de toutes sortes de raisons pour cette impasse, qu’il veut être un pionnier (« trailblazer »), un modèle pour les plus jeunes, qu’il est fragile, que sa mère est folle, que l’association des joueurs se sert de lui pour obtenir des gains, ou que son style de jeu le rend plus vulnérable aux blessures, etc. Mais dans le fonds, c’est une bonne vielle négociation financière qui joue du coude, et jusqu’ici les Ravens semblent avoir bien joué leurs cartes.
